Le sens : la question du lien social

Nombreux parmi les chroniqueurs décrivent actuellement l’entreprise comme un lieu vide de sens pour les collaborateurs. Ces mêmes chroniqueurs relèvent, à juste titre, que son fonctionnement frôle parfois l’absurde. Ils évoquent ainsi le nombre de réunions pléthoriques qui n’accouchent d’aucune décision, de la multiplication du nombre de signatures pour la moindre décision, de la présence de babyfoot, de salle de sieste ou de lecture, de conciergerie, d’ateliers de créativité colorés, de flex office pour favoriser l’agilité supposée déficiente des collaborateurs…

Bref, une forme d’infantilisation est à l’œuvre au sein des entreprises afin de compenser le manque de sens. Il faut bien admettre que l’entreprise de ce début de XXI siècle ne ressemble en rien à l’âge d’or dont Marx nous promettait l’avènement.

Rassurons notre lecteur : cette perte de sens n’est pas un complot ourdi par les membres d’une officine secrète mais le résultat de la transformation du capitalisme entrepreneurial en capitalisme financier. Ou pour le dire plus simplement de la victoire de l’aversion au risque et de la maximisation des gains s’appliquant à tous les secteurs et fonctions de l’entreprise au détriment du lien et de la cohésion sociale.

Le sentiment d’appartenance à l’histoire spécifique de la création de son entreprise, en sa vocation d’apporter au monde une manière singulière de concevoir et de faire son métier, de croire en ses valeurs s’effacent promptement devant les nouveaux impératifs de ce capitalisme : la multiplication des réunions, l’empilement des lignes managériales, l’impératif des tableaux de bords, la mise en process des activités, la pression exacerbée de la rentabilité sur l’ensemble des postes… Bref, il n’y a plus de place pour le sens (sinon celui des affaires !).

 

La perte de sens impacte considérablement la cohésion sociale dans l’entreprise

 

Or, cette perte de sens impacte considérablement la cohésion sociale dans l’entreprise. Faute de croyance commune, de valeurs partagées, d’espaces de coopération, les salariés se désintéressent de l’entreprise qui n’est plus que le moyen de payer leur loyer.

On en parle beaucoup de ce fameux ‘sens’, mais on ne sait finalement pas de quel alliage il est fait. Par ailleurs, on sait que cela est utile pour le bon fonctionnement du collectif, que cela favorise les échanges, que cela permet un surplus d’âme utile dans les moments difficiles que traverse l’entreprise, que partagé par tous, cela forme la cohésion sociale.

Car, on oublie parfois, quand on ne l’ignore tout simplement pas, que dans la société ou dans l’entreprise, l’Homme a besoin d’appartenir à un collectif, d’en partager les valeurs et son histoire, de trouver sa juste place au sein du groupe, c’est-à-dire celle qui lui permet d’être ‘dedans’ et d’y être légitime aux yeux de tous. Ce lien est vital. L’Homme ne survit pas à l’écart des autres, sans interaction avec les autres, sans projet partagé avec les autres !

Dépouillé de ce lien social d’appartenance à une culture, le collaborateur ne s’identifie plus à son entreprise, ne partage plus rien avec elle, et l’absurde de son travail lui est alors soit indifférent soit insupportable. Dans tous les cas, la dispersion sociale guette !

Cependant, ce lien social d’appartenance ne peut être comparé ou confondu avec le climat social ou le bien-être au travail qui résultent de la politique salariale de l’entreprise et des conditions de travail.

Nombre de problèmes et souffrances vécus dans l’entreprise sont aussi le résultat d’une déliquescence de ce lien, de cet esprit collectif à l’œuvre pour maintenir la cohésion sociale. Par ailleurs, en même temps, d’aucuns le déplore aussi au niveau de la Nation.

Quant à lui, le lien social résulte de la force de conviction des collaborateurs en la vocation de leur entreprise, de sa raison d’être toute spécifique, c’est-à-dire ce qu’elle apporte en plus de la simple valeur d’usage de ses offres. C’est ici qu’est le supplément d’âme ou de sens. Sens que l’entreprise partage tout à la fois avec ses collaborateurs et ses clients.

Finalement, il faut admettre que l’entreprise n’est pas qu’un simple producteur de biens et de services, mais aussi (et surtout) un producteur de sens pour l’ensemble de ses parties prenantes. Ce qu’elle est depuis toujours mais qu’à trop rationaliser son organisation, son fonctionnement, sa production certains l’ont oublié.

Par |2019-09-03T14:27:13+00:009/5/2019|
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